vendredi 10 mars 2023

Poussin et l'amour au musée des beaux art de Lyon

J'ai visité, il y a quelques semaines,  l'exposition Poussin et l'amour au musée des Beaux Arts de Lyon.
C'est un Nicolas Poussin méconnu que nous livre le musée car ce sont des tableaux sensuels et érotiques qui nous sont présentés.
Dans la continuité de cette expo, nous poursuivons la visite avec quelques oeuvres de Picasso qui a trouvé son inspiration dans certaines toiles de Poussin.

Nicolas Poussin (1594 les Andelys-1665 Rome), se forme à Paris, se rend à Lyon en 1612 où il peint la mort de Chioné puis voyage entre Rome et Paris, ce qui lui permet de fréquenter des artistes, flamands, lorrains, allemands et les peintres italiens.

Pablo Picasso (1881 Malaga - 1973 Mougins) fait l'école des Beaux-Arts de Barcelone. Il s'installe à Paris en 1904. Il passe par plusieurs périodes : bleue et rose. Ami avec Georges Braque, il peint des tableaux cubistes, puis en 1925 c'est sa période surréaliste. Il peint Guernica en 1937 et en  1944 adhère au Parti communiste français. Outre Braque, il aura rencontré Modigliani, Apollinaire, Matisse, Jean Cocteau et bien d'autres. Mais il aura aussi été influencé par Poussin et c'est cet héritage-là qui nous est montré.


La première partie appelé le souffle de l'inspiration, traite de l'inspiration poétique. Inspiration insufflée par Apollon, dieu des arts et de la poésie, par Vénus, la déesse de l'amour et par les Muses (les neuf filles de Zeus représentant les différents arts).
Ses deux influences sont l'Adone poème fleuve de  Giambattista Marino sur les amours de Venus et d'Adonis et les  Métamorphoses d'Ovide, oeuvre de quinze livres, rédigée sous le règne de l'empereur Auguste 1er siècle inspiré de récits mythologiques et épiques.
On retrouvera donc la Mort de Chioné (à l'origine de cette expo)  peinte à Lyon vers 1622, illustrant un récit tiré des Métamorphoses. C'est le chapitre XI où la déesse Diane transperce d'une flèche mortelle la langue de Chioné. Les deux enfants de Chioné et son père assiste éplorés à la scène. Elle a été peinte pour un soyeux originaire de Milan.
La mort de Chioné
Dans cette salle d'autres toiles comme l'inspiration du poète (1628-1629) où l'on voit Apollon entouré d'une muse et d'un poète. Apollon dicte son oeuvre au poète, les amours ont des couronnes de laurier, symbole de l'Amour de la vertu par opposition à l'Amour vulgaire, esclave des plaisirs de la chair.
L'inspiration du poète
Il y est présenté aussi  le triomphe d'Ovide (1624), où Ovide accoudé sur ses principaux ouvrages brandit une couronne de myrte, attribut de Vénus. On peut y voir des amours qui jouent et un qui presse le sein de Vénus endormie pour nourrir la pointe d'une flèche qu'un autre amour est en train d'affuter sur une pierre. Vénus apparait ainsi comme une puissante source d'inspiration  créatrice.
Le triomphe d'Ovide
Deuxième partie : les corps désirés
Il faut savoir que certaines toiles de Poussin ont été vandalisées ou ont subi des retouches destinées à cacher des parties du corps féminin jugées trop provocantes.
Dans cette partie, ce sont des oeuvres exécutées à partir de 1624 peu après son installation à Rome où il s'est inspiré d'artistes italiens.
On y retrouve la passion des dieux relatée par Ovide dans les Métamorphoses. La composition s'organise autour d'un grand nu féminin (Vénus ou nymphe).
Dans le tableau ci-dessous, le corps est dévoilé par le satyre. On y voit Vénus la main gauche posée sur son sexe, et le satyre derrière l'arbre se donnant du plaisir.

Vénus épiée par deux  satyres vers 1626
Dans Vénus et Adonis, il s'agit d'un des tableaux les plus sensuels de Poussin, le sujet est tiré du livre X des métamorphoses d'Ovide : les deux amants sont endormis, Adonis repose sur le corps nu de Vénus, déesse de l'amour,  qu'il enlace, le visage appuyé sur son sein. Dans le tableau, des amours chassent un lièvre, ils veulent offrir cet animal à Vénus car "fort lascif et fécond". Vénus tentera ensuite d'empêcher son jeune amant d'aller à la chasse, car elle pressent un danger et Adonis ne l'écoutant pas sera tué par un sanglier, dirigé contre lui par le dieu Mars également l'amant de Vénus.
Vénus et Adonis vers 1626
Troisième partie : l'ivresse dionysiaque
Poussin dans ses toiles a souvent représenté Bacchus, dieu du vin, de l'ivresse, de la fécondité et des plaisirs des sens, dans des bacchanales. Ce sont des fêtes en l'honneur de Bacchus où boissons, rires, chants, danses vont de pair avec le plaisir charnel.
Dans les métamorphoses d'Ovide, Bacchus permet à Midas, roi de Phrygie, de choisir une récompense pour le remercier de lui avoir remis Silène, son précepteur, ivre qui dort à côté de Bacchus. Midas a demandé à ce que tout ce que toucherait son corps se transforme en or. Il s'en est résulté une malédiction puisque tout ce qu'il portait à ses lèvres se changeait en or et donc ne peut plus ni manger, ni boire. Il reçut l'ordre de se laver dans l'eau du fleuve Pactole qui se changea en or.
Dans le tableau ci-dessous, Midas remercie-t'il Bacchus du pouvoir accordé ou bien lui demande t'il de le libérer de cette malédiction? A l'arrière-plan on aperçoit  un dieu fleuve découvrant l'or à la source du fleuve Pactole.
Midas devant Bacchus
Dans nymphe et satyre buvant (vers 1627), en peignant une nymphe nue assise  qui tient un vase jambes écartées, Poussin se montre très audacieux pour son temps.
Nymphe et satyre buvant vers 1627
Quatrième partie : amour et mort
L'ombre de la mort plane sur les plaisirs de l'amour. Dans les métamorphoses d'Ovide, les amours des dieux prennent invariablement un tour tragique:
- Le berger Acis amant de Galatée, une nymphe marine, fut  tué par le cyclope Polyphème, amoureux  aussi de Galatée et éconduit par elle. Galatée pria les dieux de changer Acis en fleuve pour qu'il puisse rejoindre la mer et lui épargner la mort.
Dans le tableau de Poussin, Polyphème est adossé au rocher et joue de la flûte de Pan pour exprimer son dépit. Et les amours ailés tendent une draperie pour qu'il ne voie pas l'étreinte des deux amants.
Acis et Galatée
- Narcisse, alors qu'il s'abreuve à une source voit son reflet dans l'eau et en tombe amoureux, il reste de longs jours à se contempler et désespéré de ne  pouvoir étreindre sa propre image, il en meurt et à l'endroit où l'on retrouve son corps  on découvre des fleurs blanches.
Dans le tableau Echo et Narcisse, le cadavre de Narcisse tourne le dos à la nymphe Echo qu'il avait repoussée. Le cupidon en arrière-plan, tient une torche dont le feu s'éteint, symbole que l'amour n'est plus. Narcisse s'apprête à être métamorphosé en ces mêmes fleurs qui poussent tout près de sa tête et qui porteront son nom.
Echo et Narcisse 1628
- Pyrame et Thisbé, deux jeunes amants projettent de se retrouver la nuit en dehors de la ville. Mais la vue d'une lionne la gueule ensanglantée, fait fuir Thisbé qui est arrivée la première. Son voile lui échappe et il est déchiré par la lionne qui le souille de sang. Lorsque Pyrame arrive, il découvre le voile ensanglanté et les empreintes de la gueule du fauve. Croyant que Thisbé a été tuée, il se suicide. Thisbé revenant, découvre le corps de Pyrame et se suicidera à son tour.

Dans le tableau tempête avec Pyrame et Thisbé (1651), on voit Thisbé découvrant le corps de son amant. Le paysage sombre et tourmenté illustre bien la tragédie. A l'arrière-plan, sur la gauche on voit la lionne qui poursuit des bergers.
Tempête avec Pyrame et Thisbé 1651

Cinquième partie : Omnia Vincit Amor et  nos cedamus amori
L'amour triomphe de tout et nous-même succombons à l'amour! C'est par cette citation de Virgile  que se termine l'exposition et par le dernier tableau peint par Poussin, Apollon amoureux de Daphné.
L'histoire : Apollon se moqua de Cupidon qui, vexé, décocha deux flèches, une en plomb et une en or.
Celle en plomb alla dans le coeur de Daphné qui éprouva une aversion totale envers ses soupirants,  et celle en or alla se ficher dans le coeur d'Apollon, le rendant amoureux.
Apollon aveuglé par son amour se lança à la poursuite de Daphné qui, désespérée, se réfugia vers son père. Celui-ci la transformera en laurier. Apollon portera une couronne de laurier en souvenir de cet amour.

Dans le tableau, Daphné enlace son père le dieu-fleuve Pénée pour qu'il l'aide à rester vierge, le désir d'Apollon (dieu des arts, du chant et de la beauté masculine) restera inassouvi, puisque Daphné échappera à son étreinte en étant transformée en laurier.
A l'arrière-plan git un cadavre qui selon les versions pourrait être celui de Leucippe,  amoureux de Daphné, qui a été mis à mort pour avoir tenté de l'approcher, ou celui de Hyacinthe, un jeune homme très beau aimé d'Apollon.
Apollon amoureux de Daphné vers 1664
L'exposition se poursuit par la place de l'héritage laissé par Nicolas Poussin dans l'art de Picasso et notamment sur le thème des bacchanales.
En effet celui-ci peint entre le 24 et 29 août 1944 dans son atelier de la rue des Grands Augustins, dans le contexte des combats pour la Libération, une bacchanale à la gouache et à l'aquarelle d'après le triomphe de Pan de Poussin.
Dans le tableau de Poussin se déroule une fête en l'honneur d'une divinité cornue, symbole de fertilité. Cette oeuvre est un hymne à l'ivresse, à l'amour et aux plaisirs. Elle a été peinte pour le château du cardinal de Richelieu en 1636.
Le triomphe de Pan 1636
Le tableau Bacchanale (1944) de Picasso est resté en sa possession toute sa vie. Picasso a été fasciné par Poussin dont il a vu des oeuvres au Louvre dès son arrivée à Paris en 1900, mais aussi  au musée du Prado à Madrid en 1895-1897.
Ce tableau est une ode à la liberté retrouvée. Le début de l'année 1944 a été marquée pour Picasso par l'arrestation de son ami le poète Robert Desnos à Fresnes le 22 février et de la mort du poète Max Jacob le 5 mars au camp de Drancy.
"Picasso fait chanter à Poussin le tourbillon de joie d'un peuple qui, les armes à la main, se libère" Pierre Daix.

Bacchanale: le triomphe de Pan 1944
La suite de l'exposition se poursuivra sur le thème de la bacchanale dans l'oeuvre de Picasso, mais aussi des faunes, proches des satyres de Poussin, et des nus.
La période de l'occupation à la libération sera une période de grande activité artistique pour Picasso.
En août 1940, Picasso part de Royan où se trouve Marie-Thérèse Walter et leur fille Maya, pour rejoindre Paris avec l'artiste Dora Maar.
Dora Maar (1907-1997) est le  pseudonyme d'Henriette Théodora Markovitch. C'est une photographe et peintre et une des amantes de Picasso leur liaison va durer de janvier 1936 à 1943. En mai 1943, apparaît Françoise Gilot dans la vie du peintre, celui-ci se séparera de Dora Maar.

Dora Maar ou femme nue dans un fauteuil 1941
Françoise Gilot (artiste peintre et écrivaine) a rencontré Picasso au restaurant le Catalan en mai 1943. Elle est représentée deux fois dans la bacchanale et dans le tableau: la joie de vivre, qui est dans la lignée des bacchanales.
Le buffet du Catalan 1943

La joie de vivre 1946
Françoise Gilot abandonne ses études juridiques pour devenir peintre. Elle exposera à Lyon à la galerie Folklore en 1953.
Françoise Gilot -le compotier-août 1951
A Vallauris dans l'atelier de Madoura, Picasso sculpte des objets en céramique se rapprochant des faunes, centaures et nymphes comme le tanagra au long cou de 1947.
Le tanagra est par définition une statuette grecque antique représentant des personnages aux formes élégantes.
Tanagra au long cou 1947
D'autres tableaux faisant écho aux tableaux de Poussin ayant comme sujets: faunes, Bacchus, nymphes sont exposés comme cette scène bachique au Minotaure de 1933.
Scène bachique au Minotaure 1933
Ou ces bacchanales de 1955


Et ces faunes et chèvres de 1959.

Ainsi s'achève cette exposition qui a permis de mettre en relation deux peintres de siècles différents mais d'inspiration commune.



Musée des Beaux Arts de Lyon



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